Cela semble être une évidence sauf que l’article L.654-2 2° du Code de commerce ne le précise pas et que les juges du Tribunal correctionnel d’Annecy ne s’étaient pas intéressés outre mesure à cette condition, condamnant ainsi un prévenu à régler la somme substantielle, de 841 686,64 €.
Fort heureusement, ce jugement a été frappé d’opposition.
En l’espèce, un associé investit près d’un million d’euros en compte courant (!) d’une start-up prometteuse ayant racheté un brevet à haute rentabilité dans le domaine de la téléphonie mobile.
En froid avec ses coassociés & cogérants car non satisfait des décisions prises par eux, l’investisseur, décide de déposer seul et sans les en avertir, la déclaration de cessation des paiements de la société.
La société n’est pas en cessation des paiements (loin de là les résultats sont très prometteurs) mais l’investisseur prétend que son compte courant d’associé était devenu exigible (ce qui n’était pas le cas, son remboursement étant bloqué par les statuts et les dispositions du pacte d’associés).
Le redressement puis la liquidation seront prononcés compte-tenu du litige irrémédiable entre les deux groupes d’associés et de la volonté affirmée de l’investisseur de « saborder le navire » en s’opposant à toute solution de reprise et en entretenant un climat délétère avec ses associés.
La cessation des paiements sera fixée à une date quasi concomitante à la demande de remboursement du compte courant.
Dans le même temps, l’associé investisseur dépose plainte à l’encontre de ses deux coassociés pour des faits d’abus de biens sociaux et de banqueroute prétendant, que ceux-ci auraient cédé l’actif principal de la société (le brevet) alors qu’elle était en cessation des paiements.
Le contrat de cession de brevet avait effectivement été annulé pour être remplacé par un contrat de concession, mais aucun effet n’avait été donné à cette opération restée inexécutée.
Ainsi, de l’aveu même de l’investisseur, le brevet figurait dans l’inventaire des biens réalisé par le commissaire priseur et des royalties continuaient d’être réglés, en exécution du contrat de cession.
Etrangement, les deux coassociés sont poursuivis par le parquet.
Un premier jugement statuant par défaut les condamne et reçoit la constitution de partie civile de l’associé réclamant leur condamnation à lui rembourser le montant de son compte courant.
Les coprévenus sont ainsi condamnés à lui verser la somme de 841 686,64 €.
Ce jugement statuant dans l’ignorance des conditions du délit de banqueroute et des règles de la procédure collective ne sera, fort heureusement, pas confirmé, ensuite de l’opposition formée.
Ainsi, la constitution de partie civile est déclarée irrecevable par le Tribunal, car dès lors que le créancier ne justifie pas d’un préjudice distinct du montant de sa créance, seul le liquidateur judiciaire a qualité à agir, ainsi qu’en disposent les articles L.622-20 et L.654-17 du Code de commerce et la jurisprudence. (Cass. crim., 27 juin 2018, n°17-83316 ; Cass. crim., 17 juin 2014, n°13-83288; Cass. crim. 21 mars 2018, n°16-83705)
Si banqueroute il y a, l’éventuelle condamnation doit servir à reconstituer le patrimoine de la société destiné à désintéresser les créanciers par ordre de priorité, et non exclusivement celui d’un créancier chirographaire (en l’occurrence l’investisseur).
Il y avait là une violation du principe d’égalité des créanciers et des dispositions et de la jurisprudence précitées auquel le second jugement a fort heureusement remédié.
Sur l’action publique et la qualification de l’infraction de banqueroute, le contrat de cession ne pouvait constituer un détournement d’actif opéré en connaissance de la cessation des paiements.
Pour cause: les associés ne pouvaient imaginer que le compte-courant de l’investisseur soit exigible alors que la convention de rémunération de compte courant, tout comme les statuts et le pacte d’associé, interdisaient son remboursement.
Admettre le contraire revenait à dire que la société était en état de cessation des paiements depuis son origine ou du moins, depuis l’existence de la créance en compte-courant.
Une fois cette créance retranchée du passif, le montant de l’actif était près de quatre fois supérieur à celui du passif, de sorte qu’aucune cessation de paiement ne pouvait être constatée.
Le tribunal sanctionne ainsi l’associé ayant généré un passif artificiel aux fins d’obtenir un redressement judiciaire et ainsi poursuivre ses associés (car c’est bien de cela dont il s’agissait).
« le délit de banqueroute est constitué lorsque la dissimulation ou le détournement d’actif est réalisé par une personne ayant conscience, au moment de son action, de l’état de cessation des paiements du débiteur, ou à tout le moins, du caractère très compromis de la situation financière de celui-ci.
Il faut ainsi que les agissements de la personne, poursuivie pour des faits de banqueroute, aient été assortis de la connaissance de l’état de cessation des paiements et de la conscience ou de la volonté de porter atteinte au droit des créanciers ».
Il faut saluer cette décision car la Jurisprudence de la Cour de cassation n’est elle même pas très explicite sur cette condition, parlant uniquement de « dissipation volontaire d’un élément du patrimoine d’un débiteur en état de cessation des paiements« , ce qui semble vouloir dire grosso modo la même chose. (Cass. crim., 10 mai 1993, n°92-83.004, Cass. crim., 22 août 1995, n°94-83750)
On peine néanmoins à comprendre ce qui a pu motiver une telle décision de l’investisseur impliquant une perte quasi automatique de sa créance en compte-courant, soit la bagatelle de 841 686,64 €.
Reste à présent la question de sa responsabilité pénale d’une part, pour éventuelle dénonciation calomnieuse, et civile d’autre part, du point de vue de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, dont il pourrait faire l’objet.
Il semblerait qu’à présent, ses (futurs anciens) coassociés disposent d’un préjudice personnel et distinct de celui des autres créanciers de la procédure, pour pouvoir le poursuivre.
Le reste à suivre donc…